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Mille Vies

Épisode 29

Scène 1, acte 1

Lorsque Harriet arriva à la cuisine, Mama me servait une seconde tasse de café en me soufflant les mots qu’il faut dire lorsque la flamme d’une amoureuse vacille au bout de sa chandelle. Ses paroles rassurantes ne me suffisaient pas. Je voulais me réchauffer l’intérieur. Le soleil embaumait l’air froid de buées de rosée. L’été était bel et bien chose du passé. Harriet comprit que Jaze avait pris la route. Elle ne dit pas un mot, mais me frotta le dos avec vigueur. C’était sa manière à elle de dire qu’elle comprenait. Harriet était une amoureuse. Là se trouvait le plus moelleux de sa personne. Elle connaissait la douleur d’amour.

Sur le chemin bordant l’église, des voix sonnèrent comme les clairons de l’Apocalypse. Ces voix qui faisaient trembler l’air du matin étaient celles du Prof et d’Anavita. De toute évidence, leur conversation n’avait rien d’amical.

- Je ne t’amènerai pas avec moi, cria le Prof. Jamais. C’est trop dangereux.

- Trop dangereux! Avoue plutôt que c’est parce que tu n’aimes pas les femmes, répliqua Anavita.

- Ce n’est pas la question.

- Alors pourquoi, dis-moi.

- Cent fois que je te le répète, Anavita. Si ce n’était que de tes bracelets qui font tellement de bruit qu’ils réveillent les morts dix milles à la ronde, tu n’aurais qu’à les enlever. Ce que tu ne feras jamais…

- Je ferai exception, coupa Anavita. Je vais les enlever. Tu es content?

- Ce n’est pas le problème, Anavita. Vas-tu finir par comprendre? Non seulement tu n’es pas blanche, mais tu es rouge. Ce qui est pire que d’être noir, dans ce pays.

- Je suis plus blanche que toi.

- Tu as vu ton nez? Tu as un nez d’Indienne. Et une crinière d’Indienne.

- Je peux me faire un chignon et me mettre un foulard sur la tête.

- Alors, pire encore, tu auras l’air d’une gitane, une « abandonnée » de Dieu.

- Tu exagères. Le pasteur dit…

- Arrête! Le pasteur, le pasteur! Qu’est-ce qu’il connait de mes expéditions, le pasteur? Je suis un scientifique. Tu sais ce que c’est un scientifique? Lorsque je descends dans le Sud, je suis ornithologue. J’étudie les oiseaux. Je me rends jusqu’au Mississippi. C’est très dangereux. Je ne descendrai pas dans le Sud avec toi. C’est tout. Partout où on irait, on serait accueillis par des shérifs trop heureux de nous enfermer dans leur prison miteuse pleine de cafards gros comme des ours. Et personne ne voudrait nous parler. Si Tom ne peut pas venir, j’irai seul.

- Tu ne peux pas partir seul. Tu ne sais même pas comment atteler un cheval à un chariot.

- Je vais attendre Tom.

- Tu vas attendre longtemps.

- Je vais attendre Tom.

- Tom est malade. Il est fiévreux. Il ne pourra pas partir avant un mois et dans un mois, il fera trop froid pour partir. Vous seriez pris dans la neige et obligés d’attendre le printemps avant de revenir. C’est sans parler de son lit qu’il faut laver tous les matins…

- Je trouverai quelqu’un d’autre, répliqua le Prof en réprimant un air de dédain.

- Il n’y a personne d’autre. Tu le sais. Mais moi, je peux.

- Je vais attendre Tom.

- Je pourrais être ta femme?

- Ma femme! Non, là, vraiment, tu dérailles! C’est pas vrai, Anavita, tu n’es pas sérieuse?

- Bien sûr que je suis sérieuse. Mari et femme, une petite famille sur la route, on ne ferait peur à personne. Il y des centaines de familles qui s’installent à l’ouest.

- Je préfère affronter un régiment de cavalerie qu’une horde de saintes nitouches accompagnées de leur pasteur. Un homme qui marie une Indienne devient un Indien aux yeux de tous. C’est pire que pire.


- Harriet a plusieurs déguisements. Je pourrais avoir l’air d’une bonne petite mère du Kentucky.

- Anavita, soupira le Prof, tu ne pourras jamais avoir l’air, la chanson, la rime, la note, la syllabe d’une petite mère du Kentucky. Tu t’es regardée dans un miroir récemment?

- Qu’est-ce que j’ai?

- Tu es mal engueulée. Tu étends un bûcheron d’un seul coup de poing. Tu t’habilles comme une fille de joie et tu bois comme un marin écossais.

- Tu as peur. C’est ça, tu as peur!

- Bien sûr que j’ai peur. Je ne vais pas faire exprès pour aller me faire pendre à une branche.

- Tu n’es qu’un peureux.

- Arrête de me suivre. J’ai autre chose à faire.

Harriet fit claquer la porte derrière elle, et ajusta son châle sur ses épaules tout en frappant du talon le bois de la galerie.

- Vous avez fini de vous engueuler, tous les deux? Allez, rentrez! Vous dérangez tout le monde.

Le duo s’interrompit. Anavita et le Prof s’avancèrent propulsés par de bruyants soupirs.

- Tom est toujours malade? s’informa Harriet à Anavita.

- Oui, il est très malade, répondit-elle. Il est fiévreux. Il devra garder le lit jusqu’à la fin du mois. Au moins.

- C’est dire qu’il ne pourra pas partir avec moi, s’immisça le Prof.

- Mais moi, je peux y aller, reprit Anavita en haussant le ton.

- S’il vous plaît, Harriet, dites-lui que c’est impossible. Je ne sais plus dans quelle langue lui répéter qu’il n’en est pas question.

Harriet fit quelques pas dans la cuisine. Le monde semblait se déplacer sous la semelle des chaussures de la grande petite dame. Tous attendaient son verdict. Le Prof brisa le silence de peur de voir pencher la balance en faveur d’Anavita.

- J’ai besoin d’un homme, plaida le Prof, un homme qui sait conduire un chariot et s’occuper des chevaux, qui peut nous sortir du pétrin et surtout, surtout, qui passera inaperçu partout où nous irons.

- Je crois, répondit Harriet, que ce voyage devra attendre le printemps prochain.

- Mais je peux… tenta Anavita.

- Tu dois rester auprès de Tom, répliqua Harriet. Il a besoin de toi pour retrouver la santé. Et l’hiver s’en vient, et Mary Travis va accoucher d’un moment à l’autre… elle aussi aura besoin de toi. Et puis Grampa qui s’est brisé la hanche…

- Je vais partir seul, poussa le Prof.

- Mama, ton café est-il encore chaud? pria Harriet.

Une goutte de café tacha le drapeau blanc et les belligérants s’engagèrent de nouveau dans une canonnade d’arguments qui ressemblait à une bataille de déjà-entendu. J’avais ma petite idée pour résoudre le conflit.

Je sortis en douce et me dirigeai vers chez moi. Au pied de notre lit, un coffre débordait de vêtements. Jaze se souciait de son apparence, mais avait peu de talent pour le rangement. J’enfilai un de ses pantalons. Il était un peu grand. Des bretelles de cuir boutonnées à ma ceinture me permirent de les accrocher à mes épaules. Une chemise, un manteau, des bottes, un peu de terre sur les mains et le visage… Je me transformais lentement en homme. Des souvenirs de Grosse-Île me revenaient en tête. Me déguiser en homme m’avait toujours bien servi. J’espérais que mes anges, les vivants et les morts, me portent chance encore une fois. Je cachai mes cheveux dans un chapeau de cowboy, nouai un foulard à mon cou. Voilà. Ne me restait plus qu’à transformer Dixie en un digne et respectable représentant de l’aristocratie chevaline sudiste. C’était facile : une couverture, une selle bien huilée et la crosse d’une carabine sortant de son étui de cuir mis en évidence sur sa croupe. Nous étions prêts.

Yeah! Au galop! Je passai une première fois dans la rue principale. À la frontière de la ville, je rebroussai chemin. Cette fois, je stoppai le galop de Dixie devant l’église, le faisant tournoyer dans un nuage de poussière. Quelques fidèles s’avancèrent sur le perron. Je remarquai le pasteur ébahi se signer de la croix. Chose certaine, je n’étais pas passée inaperçue. Ne me restait plus qu’à faire mon numéro devant Harriet.


Je m’avançai dans le chemin menant chez elle. Malgré le midi de la journée, le soleil restait froid. Le vent soufflait dans les branches encore feuillues des ormes bordant l’allée. Je fis le tour de la maison. Pas un bruit ne débordait des fenêtres. Il ne semblait pas y avoir âme qui vive. La table avait été débarrassée des tasses de café. Personne ne venait à ma rencontre. Même les chaudrons de Mama ne semblaient plus avoir de vie. Où étaient-ils passés?

Je revins sur mes pas. Dorothée, la femme de l’apiculteur, traversa la rue. Elle jeta un regard dans ma direction. Je levai la main, mais mon salut n’obtint aucune réponse. Elle ne m’avait pas reconnue. Un sourire traversa mon visage beurré de masculin. Maintenant, je devais convaincre Harriet, le Prof, Anavita… Si près du Seigneur, le pasteur saurait sans doute m’indiquer où je pourrais les trouver.

Dixie sembla heureux que je l’abandonne sous le pommier qui ornait la cour arrière de l’église. Inutile d’attacher sa bride tant qu’il y avait une pomme à manger. Je grimpai les quelques marches menant à la porte. Elle se referma, me laissant aveuglée d’un trop-plein de noirceur.

- Y’a quelqu’un?

Un vent froid siffla dans mon dos. À peine avais-je eu le temps de sentir le canon glacial du revolver d’Harriet se déposer sur ma tempe que déjà de puissants bras s’abattaient sur moi et me précipitaient rudement sur les dalles du plancher. Le sol m’expédia une traînée d’étoiles filantes dans la tête. Lorsque je repris mes esprits, King me tenait au bout de ses bras. Je ne touchais plus terre.

- Ly, est Ly, répétait le géant en m’exhibant comme un pantin de foire.

- Mais oui, c’est moi, c’est Molly. Merci pour l’accueil! Je ne me rappelais plus cette manière si particulière que vous avez de souhaiter la bienvenue aux étrangers. King, s’il te plaît, dépose-moi par terre.

- Mais veux-tu bien me dire ce que tu fais dans cet accoutrement? lança Harriet.

- Nous aurions pu te tuer, ajouta Anavita. Pourquoi as-tu…

Anavita se tourna vers le Prof. Silencieux, il se lissait la barbe en camouflant le sourire dessiné sur son visage. Harriet hocha la tête, reconnaissant qu’ils s’étaient tous bien fait avoir. Seule Anavita continuait de rouspéter et de me canarder de ses questions, ne comprenant toujours rien à cette mascarade. Harriet et le Prof se parlèrent en silence. Leurs sourires mirent fin à un court débat.

- Bon, me lança Harriet en me tapotant l’épaule. Depuis le temps que tu trépignes d’impatience. C’est bon, tu as gagné.

- Tes cheveux sont trop longs, ajouta le Prof. Tu devras les couper.

- Mais de quoi parlez-vous? s’impatienta Anavita.

- Je vais les couper, répondis-je. Je me déguiserai en homme et je ferai tout ce qu’il faudra.

Harriet et le Prof sortirent de l’église et se dirigèrent vers la maison. Je les suivis. Dixie poursuivait sa dégustation. Le soleil éclatait de tous ses feux.

- Mais que se passe-t-il? poursuivit Anavita.

- Je suis désolée, Anavita, lui répondis-je, c’est moi qui pars avec le Prof. C’est moi qui prends le chemin de fer clandestin.

Ohio, Kentucky, Tennessee, Mississippi

Les dernières maisons de la ville de Glasgow, dans l’État du Kentucky, disparurent dans le nuage de poussière de notre chariot. Sur la route s’étirant vers Nashville, notre prochaine destination, le Prof s’arrêta net, là, au milieu de nulle part, dans un champ désert. Il descendit de la voiture et se mit à faire valser les cailloux sur le chemin.

- Pourquoi s’arrête-t-on, Prof? Tu as vu un oiseau rare?

Depuis le début de notre voyage, le Prof s’arrêtait à tout moment, silencieux, pointant comme un chien de chasse à la cour du roi. Tous les oiseaux aux couleurs étranges le figeaient sur place. Au moindre petit cui-cui inattendu, son bras fendait l’air pour me faire taire. Et des oiseaux, il y en avait beaucoup.

- Non, pas d’oiseau. Je cherche la ligne, dit-il.

- Quelle ligne?

- Si ma carte est bonne, c’est à peu près ici, à cet endroit qu’on a marqué la limite de la liberté.

- On peut faire une ligne sur la liberté?

- Non, on ne peut pas. Mais c’est pourtant ce que nos gouvernements ont fait. J’estime que nous devons être à 36° 30 de latitude Nord. Donc, juste sous nos pieds, il y a une ligne, celle qui sépare les États-Unis : d’un côté les États abolitionnistes; de l’autre, les États esclavagistes.

- C’est l’ancienne ligne Mason-Dixon dont parlent les journaux?

- Exactement. La ligne des compromis de l’histoire. Peu importe le nom qu’elle porte, c’est ici, dans les paisibles contrées le long de cette ligne, que se livre le combat entre les planteurs du Sud et les fabricants du Nord. C’est sur cette ligne que le Sénat, la Chambre des représentants, les gouvernements, les industriels, les planteurs, les marchands, les gens d’ici et d’ailleurs tentent de maintenir l’équilibre. Mais c’est aussi la ligne imaginaire de la liberté pour des milliers d’esclaves.

- Nous entrons en territoire ennemi.

- C’est vraiment ce que tu crois? répliqua le Prof en me toisant du regard. Tu crois vraiment que nous sommes en territoire ennemi? Le territoire ennemi n’existe que dans nos têtes de lard. Tu vois, là-bas, cette famille qui s’amène sur la route? D’après toi, est-ce une famille ennemie? Ils vivent ici au Tennessee. Ils sont blancs. Ils doivent posséder quelques esclaves. Regarde-les bien, sont-ils vraiment différents de la famille de la petite auberge de l’Ohio où nous avons passé la nuit?

- Mais ce sont des esclavagistes. Ils utilisent des hommes, des femmes et des enfants pour travailler pour eux, contre leur volonté, simplement parce qu’ils n’ont pas la même couleur de peau.

- Les hommes ne sont ni bons ni méchants. Ils sont tout simplement d’un côté ou de l’autre d’une ligne. Et les lignes, crois-moi, c’est complètement idiot. Il te faudra voyager, garçon. Voyager, écouter, lire, apprendre.


Le Prof s’amusait à m’appeler « garçon » le plus souvent possible. Il disait que c’était pour s’habituer à me voir en garçon, mais je crois qu’il aimait bien sentir l’inconfort que cela me causait. Selon lui, mon déguisement ne pouvait convaincre qui que ce soit. Il s’en préoccupait souvent et me faisait remarquer la rondeur d’un sein qu’on pouvait deviner ou la pâle douceur de ma peau rousselée.

Nous nous sommes remis en route.

- J’ai connu un homme, lançai-je après un court silence, qui m’a raconté ces voyages et m’a dit lui aussi qu’il fallait parcourir le monde pour mieux le comprendre.

- Il a dit vrai. Qui est-ce?

- Il s’appelait Bran. Il était sur le navire qui m’a amenée en Amérique.

- Et que fait-il?


- Il joue de la cornemuse sur la Terre des pommiers.

- Où est-ce?

- Je ne sais pas. J’espère que mon frère se souvient de lui.

Au cours des dernières semaines, nous étions passés de l’hiver à l’été. Nous avions traversé l’Ohio, le Kentucky et le Tennessee, trois États américains à la fois différents et semblables. Le Prof était vraiment un prof. Il parlait tout le temps et s’évertuait à tout m’expliquer. J’aurais parfois aimé regarder simplement cette nature sauvage et changeante, ses plaines, ses vallées, ses montagnes et ses lacs. Mais j’appris beaucoup de choses au cours des jours passés en sa compagnie. Des Grands Lacs au Mississippi, du sapin au palmier, il m’expliqua comment la forêt se transformait en s’adaptant aux variations du climat. Il m’enseigna à reconnaître les champignons comestibles, à lire dans les nuages le temps qu’il fera, à me rappeler les noms des plantes et des fleurs, tout autant que ceux des animaux et des insectes. Avec le Prof, le monde se dépliait devant moi comme les pages d’une encyclopédie.

Il aimait toutes les questions que posait la nature et cherchait les réponses de manière scientifique. Lorsqu’il ne trouvait pas, il plissait les yeux et plongeait son regard au ciel. Ce n’était pas pour s’en remettre à Dieu (ce qu’il faisait rarement), mais plutôt pour trouver une réponse dans le vol d’un oiseau. Il se demandait quelles auraient été les réponses de Galilée et de Newton, ce qu’on trouverait dans l’encyclopédie de Diderot… Le plus étonnant, c’est qu’après un court moment de réflexion où il marmonnait sans que je puisse comprendre un traître mot, il émettait une hypothèse qui avait un sens aussi surprenant que logique.

De tous les scientifiques, Charles Darwin était son préféré. Il avait fait sa connaissance à Londres. Mieux que quiconque, le Prof savait parler des voyages du scientifique aux îles Galapagos et de ses découvertes sur l’évolution des espèces. Le Prof était un passionné de tout. Mais c’est surtout lorsqu’un oiseau traversait son champ de vision qu’on pouvait percevoir l’intensité de son amour pour la science et la nature. Rien au monde ne l’émerveillait autant que de suivre le vol d’un aigle royal majestueux et flamboyant ou celui d’un simple chardonneret, vigoureux et pimpant. Durant le jour, je devais constamment lui rappeler le but de notre voyage tellement il n’en avait que pour les oiseaux. Il en faisait des croquis sur de grandes feuilles et, le soir venu, il passait des heures, parfois la nuit entière, à dessiner l’oiseau rencontré, à reproduire son vol et à inscrire le lieu, la date et l’heure de ses observations.

La nuit tombait. Le Prof arrêta le chariot dans un renflement sur le bord de la route. J’allumai un feu et préparai notre souper. Les étoiles se firent scintillantes. Depuis quelques jours, malgré la fraîcheur accompagnant le coucher du soleil, notre campement de nuit se réduisait à une couverture de laine et à un édredon piqué de carreaux de couleur cousus par Mama. Parfois, j’y plongeais le nez et j’y retrouvais son odeur rassurante.

- Où est l’étoile du Nord, garçon? me demanda le Prof avant de s’endormir, comme il l’avait fait chaque soir des 20 derniers jours passés sur la route.

- Elle est là, pointai-je du doigt nonchalamment.

- Là? Où ça, là?

- Mais là, juste là au-dessus de ta tête.

- Garçon!

- Là, en traçant une ligne droite à partir des deux étoiles de la Grande Ourse, celles qui forment la casserole. L’Étoile polaire est juste là.

- La Grande Ourse va bientôt disparaître sous l’horizon, marmonna le Prof soucieux de perdre ce lien qui nous accrochait aux nôtres.

- Ça ne fait rien, répliquai-je, on descend vers le Sud.

- Ne prends pas ça à la légère, garçon. L’étoile du nord, c’est la route que tu peux suivre pour conduire tes passagers vers la liberté.

- Je sais, Prof. Je sais. Toi et Harriet me l’avez répété un million de fois.

- Et on te le répétera encore. En pleine nuit, dans le noir et le froid, après des milles et des milles de route, l’Étoile polaire est souvent notre seul guide.

- Tu sais, Prof, répondis-je en m’emmitouflant dans ma couverture, tu aurais fait un excellent pasteur.

Je savais qu’il détestait que je dise ça.

BONUS